La faiblesse du taux de chômage en Allemagne masque la grande précarité

 Article disponible sur le site de libération:
 https://www.liberation.fr/debats/2018/03/26/allemagne-moins-de-chomeurs-plus-de-pauvres_1639016

Allemagne : moins de chômeurs, plus de pauvres

Par Bruno Amable, professeur à l’université de Genève
La situation économique de l’Allemagne fait plus envie que pitié. En dehors d’une croissance satisfaisante (2,2 % en 2017 et 1,9 % en 2016), d’une compétitivité industrielle qui se manifeste pesamment par des excédents extérieurs considérables (de l’ordre de 8 % du PIB), la situation de l’emploi est également un motif de satisfaction outre-Rhin. Le taux de chômage s’établissait, en février, à 5,7 % et le chômage de longue durée était en régression depuis plus de dix ans.

Mais cette situation favorable de l’emploi s’accompagne aussi d’une hausse des inégalités. Celles-ci concernent en premier lieu le niveau des salaires. En moyenne, ils ont recommencé à augmenter en termes réels mais ces augmentations ne concernent pas l’ensemble de la distribution des revenus. Entre 1995 et 2015, alors que les 20 % de salariés les moins bien payés connaissaient une baisse de salaire réel de 7 %, les 30 % de salariés les mieux payés bénéficiaient d’une hausse allant de 8 % à 10 %.

Autre phénomène connu, la baisse du chômage s’est accompagnée d’une hausse de l’emploi atypique (temps partiel, CDD). Celui-ci ne représentait que 13 % de l’ensemble des emplois en 1991. En 2015, c’était plus d’un emploi sur cinq (21 %) qui était atypique (...). Les emplois mal payés représentaient à peu près 16 % de l’emploi au milieu des années 90 ; ce chiffre était monté à 22 % ou 23 % dans les années 2010.
L’extension d’un secteur de bas salaires et le déclin de la négociation collective avaient amené les syndicats à abandonner leur position traditionnelle et à revendiquer la création d’un salaire minimum. Celui-ci existe donc depuis 2015. Un document récent de l’Institut de recherches et d’études sociales (Ires) et de l’OFCE (1) effectue une comparaison de celui-ci avec les salaires minimums français et britannique. En comparant plusieurs situations familiales (célibataire, famille mono-active avec deux enfants de 7 ans et 9 ans, famille bi-active), les auteurs font ressortir des différences intéressantes entre les trois pays.
Il ressort que la situation du célibataire est la moins favorable en Allemagne, son revenu s’établissant légèrement au-dessus du seuil de pauvreté (défini à 60 % du revenu médian). (...). La situation est différente si on considère la situation de familles avec deux enfants. La famille mono-active allemande obtient un revenu égal à 63,2 % du revenu médian, ce qui est moins que la famille britannique (69,8 %) mais nettement plus que la famille française qui, elle, se situe en dessous du seuil de pauvreté avec un revenu égal à 55,5 % du revenu médian. Une autre particularité allemande est la situation de la famille bi-active. Son revenu n’est que marginalement plus élevé que celui de la famille mono-active : 63,7 % du revenu médian avec un adulte travaillant à temps plein et l’autre adulte à temps partiel ; 63,5 % avec deux temps pleins (...).

(1) «Salaire minimum : du coût salarial au niveau de vie. Une comparaison France, Allemagne et Royaume-Uni», par Odile Chagny, Sabine Le Bayon, Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak.

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